samedi 15 septembre 2018

Laissez-vous livrer là où la vie vous mène


Au temps du roi Darius, les Judéens exilés eurent la permission de reconstruire le Temple de Jerusalem, qui avait été rasé 70 ans auparavant par le terrible Nabuchodonosor. Le livre d'Esdras relate cet émouvant retour après les longues années d'exil.

C'est avec une émotion similaire, mais sans plus de cérémonie, que je reprends ce blog en friche.

Nous allons désormais nous attacher à un projet ambitieux, celui de rechercher, sur les pas du grand Léon Bloy, les traces de la présence divine au beau milieu de la boue du monde bourgeois contemporain. Mais tandis que Bloy  s'était attelé à faire l'Exégèse des lieux communs, j'explorerai ici (avec infiniment moins de talent) une nouvelle matière, tout aussi prometteuse : celle du slogan publicitaire.

En effet, de par son extraction bourbeuse, de par sa désinvolture déconnectée de toute bienséance, de par son objet utilitaire tendu vers un objectif unique (vous faire acheter), celui-ci est le plus à même, sans le savoir, de transporter des signes du divin, telle une Pythie vaticinant dont seul le sage peut décrypter les oracles.



Premier épisode de cette exégèse de la pub : vu dans le métro, une affiche pour Uber Eats, dont la devise était "Laissez-vous livrer là où la vie vous mène".

On ne pouvait que frémir à la vue de cette affiche, et j'admire les passants stoïques qui, affairés sur les écrans de leurs smartphones, parvenaient à retenir de verser des larmes de sang sous cette parole terrible.

Car ces gens, qui n'ont plus le temps ni de cuisiner ni d'aller au restaurant, ont désormais la possibilité de recevoir leur pain quotidien là où la vie les mène. Qu'est-ce à dire ? Qu'ils se laisseraient porter, tels des feuilles mortes, par les courants du destin païen ou du fumeux "hasard" moderne ?

Point du tout, car il est question de se laisser mener par la Vie : or c'est bien le Christ qui a déclaré : Je suis le chemin, la vérité et la vie. Pour se faire livrer, il faut donc se laisser mener par le Christ. Le suivre en abandonnant tout.

Alors seulement vous pourrez vous laisser livrer. Comme Jésus accepta d'être livré par Judas au jardin de Gethsemani, après une nuit de prière et d'agonie. Comme il accepta de boire la coupe jusqu'à la lie.


Alors, oui, avec Uber Eats, je vous le dis : laissez-vous livrer. Au prix exceptionnel (sacrifié) de 29,99 deniers.

(PS : Évidemment, puisque la publicité est d'essence satanique, ses messages sont inversés : il va sans dire que chez Uber Eats (enseigne post-moderne qui a réinventé le travail à l'heure), c'est le livreur qui sue sang et eau, tandis que le livré sombre dans le désespoir devant sa télé).

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