mardi 29 mai 2012

Est-on de gauche quand on met Marine Le Pen au centre du jeu politique ?

La question agite aussi bien le média dominant que le blog gauchosphérique : fallait-y y aller, ou fallait-y pas ?
Le gars est-il courageux ou inconscient, cherche-il rien qu'à faire son intéressant ou suit-il son destin ?

Mais qui ça ? Où ça ?
Ben Méluche, quoi. A Hénin-Beaumont.

Donc le pépère s'est parachuté dans le Pas-de-Calais comme un maquisard à l'arrière des lignes ennemies, et il s'en va affronter tout seul à mains nues le boss de fin de niveau, sans se soucier des quolibets et du qu'en-dira-t-on.

Autant le dire tout de suite, on n'est pas très calé ici en tactiques politiques, et on n'a trouvé qu'un truc à dire à l'annonce de l'attaque : le coup était couillu et réjouissant.


Tout le monde n'est pas de cet avis. Une partie de la gauche de gauche s'interroge. Ou, pour aller vers une gauche moins de gauche, une Martine Aubry "très en colère" aurait lâché qu' "on n'est pas de gauche quand on met Marine Le Pen au centre du jeu politique". Bon, on n'épiloguera pas sur la qualité de la personne qui a lâché l'anathème ni sur ses capacités à décerner des brevets de gauchitude, mais on retiendra la question de fond.

Car on le sait, et le lecteur de ce blogs (s'il y en avait) avant tout autre, combattre le Front national est souvent le plus sûr moyen de faire le jeu du FN. D'un autre côté, ne pas combattre le FN a généralement le même effet.

Alors, fallait-il réserver d'abord ses forces militantes pour s'attaquer la haute finance et attendre que le FN s'effondre tout seul ? Ce serait ignorer que le FN n'est pas qu'un symptôme, mais une partie du problème. Une grosse épine dans le pied du mouvement social.

Si le système capitaliste financier arrive à se maintenir malgré toute l'opprobre qu'il a accumulé contre lui, c'est qu'il arrive encore à diviser tout le corps social qui aurait intérêt à sa chute.

Au sein de la classe populaire, on monte le travailleur de souche contre le travailleur immigré. Parmi la classe moyenne (ou, pour parler plus crûment, la petite bourgeoisie intellectuelle), le privé est opposé au public. Enfin la classe populaire dans son ensemble est invitée à se défier de la petite bourgeoisie, peuplée de bobos qui ne connaissent rien à la vraie vie, tandis que celle-ci est habituée à ne voir dans la classe des ouvriers et des employés qu'un ramassis de beaufs à l'esprit étroit.

Le rôle de la gauche est de rassembler tout ce beau monde pour foutre une tannée aux profiteurs qui mettent le monde en coupe réglée, au système productif qui robotise le salarié et humilie le chômeur.

Le FN, de son côté, propose une vision du monde qui a sa propre cohérence. Il se pose désormais en défenseur du peuple, d'une part en défendant son identité, d'autre part en défiant le "Système" financier international. En proposant de revenir aux valeurs de la France éternelle et de fermer les frontières, il montre une voie qui peut tenter aussi bien le prolo que la classe moyenne inquiète.

Il importe donc de prendre en considération les inquiétudes qui font son succès tout en montrant que la solution proposée est une impasse.

S'il gagne à Hénin-Beaumont, Méluche montre à la classe ouvrière qu'il existe une alternative au PS pourri et au FN clivant. Ce n'est pas qu'une question de morale. L'enjeu est de montrer que la solution de la gauche (la vraie) est plus puissante que la solution nationaliste, car victorieuse.


Alors vas-y Jean-Luc, fous-y une trempée à la walkyrie !


vendredi 25 mai 2012

Faut-il faire le jeu du Front national ?

Tout blog vaguement politique devrait se poser la question. Parce que faut faire gaffe, ça va très vite, on s'en rend même pas compte. On dit un truc, on se croit malin, et crac, voilà qu'on a fait le jeu du Front national à son insu.

La gauche angélique a fait le jeu du FN (et hop : 2002). La droite sécuritaire aussi (et zou : 2012). Les antiracistes ont largement fait le jeu du FN en crispant le François de souche avec leurs diatribes culpabilisantes. D'un autre côté, admettons-le, les racistes ne sont pas non plus complètement hors de cause dans la montée de l'extrême-droite.

Les médias ont fait le jeu du FN en parlant trop de lui, puis en n'en parlant plus, en le diabolisant, puis en le dédiabolisant.

Les noirs font le jeu du FN en ne faisant aucun effort pour l'être moins (quoique, l'ampleur du trafic d'hydroquinone dans les commerces spécialisés montre que certains sont conscients du problème). Les bobos blancs font le jeu de qui vous savez en essayant (en vain) d'être copains avec des noirs, au lieu d'être copains avec les autres blancs qui aiment pas les noirs.

Les musulmans fanatiques font le jeu de l'extrême-droite en massacrant à l'occasion quelques infidèles. Les berserker vikings font de même en montrant à leurs semblables que c'est quand même plus possible de continuer comme ça, et que s'ils ont dû sortir les grands moyens, c'est que les autres ils l'avaient peut-être un peu cherché.

Les historiens et autres sociologues font le jeu du FN en ramenant tout le temps leur science pour humilier le bon sens populaire. Et si moi j'ai envie de croire que c'est Clovis qui a inventé la France (chrétienne et blanche) en se prenant un coup de marteau sur la tête ? J'ai lu Lorant Deutsch, quand même. Et si j'ai envie de penser qu'en jetant tous les allogènes à la mer, on ferait disparaître délinquance, criminalité et problèmes de logement dans ce beau pays (comme au XIXe siècle . Bon en 1850 à Paris, fallait pas trop se promener le soir sans arme, mais se faire suriner par un blanc, c'est pas pareil, c'est moins humiliant) ? Et puis je vois bien ce que je vois, vous me faites marrer, avec vos trucs d'intello. Comme dit mon cousin Gontran, les chercheurs, faudrait un jour qu'ils finissent par trouver.

Bref, c'est pas facile, alors on se retient, on évite de beugler "Nique la France", même pour rire, on sourit aux vieilles dames acariâtres qui grognent devant le distributeur de billets, on essaie de bien se tenir.

Et quand vient le moment de voter, on sait plus. La plupart s'empressent d'aller voter utile pour éviter un "nouveau 21 avril" (chez les journaleux, ça veut dire un(e) Le Pen au 2e tour de l'élection présidentielle). D'autres en revanche se refusent à voter pour des candidats du système dont la politique fait le jeu du FN. On en viendrait presque à se demander si le meilleur moyen de ne pas faire le jeu du FN, ça ne serait pas de voter pour le FN, histoire d'en finir.

Qu'on se le dise, ce blog n'en a rien à cirer de faire le jeu de qui que ce soit. RA ne joue que son propre jeu, et c'est au contraire lui qui profite de tous les faux pas, de toutes les faiblesses de ses adversaires. On écrira donc ce qu'il lui plaira d'écrire, et on bandera quand on aura envie de bander. Bordel.

jeudi 24 mai 2012

Entre deux

Il est dix heures du matin, le soleil perce vaguement la couche de nuages grisâtres qui plane en permanence sur la cité cyclopéenne où j'ai posé mes guêtres. Ayant réussi à échapper pour quelques temps aux diverses obligations professionnelles et familiales en vigueur, je m'offre une parenthèse, un sursis (comme disait Jean-Jacques).

Entre deux changeages de couches, entre deux journées au bureau, entre deux élections nationales de la plus haute importance (surtout pour les candidats).

Les élections, justement. C'est facile de rigoler du fameux rituel dominical, avec ses petites enveloppes, son suspense insoutenable, ses soirées spéciales à la télé, la joie des uns, la tristesse des autres (alors qu'il leur suffirait de changer de camp à 20H00 pour aller faire la fête dans la rue). Mais il faut admettre un truc, c'est que tout ce cirque a des effets stimulants sur les esprits. On relève la tête du train-train quotidien, on regarde autour de soi, on s'effraie, on se scandalise, on échafaude des plans.

On ne trouvera personne pour dire que tout va bien (ceux là sont probablement partis en vacances). Alors chacun va chercher l'erreur, le responsable de la chute, du malheur, de l'usure du monde. En fonction de sa grille de lecture, on choisit qui montrer du doigt : les riches, les banquiers, les patrons, les pas-blancs-de-peau, les musulmans, les assistés, les fonctionnaires, les bobos, les médias. Tout cela à grand renforts de faits avérés.

Chacun cherchera aussi ses références, ses modèles, convoquera l'Histoire (pas la science sociale du même nom, mais le récit qui donne des repères). Jeanne d'Arc, Staline, Jules Ferry, Mitterrand, les résistants avec nous ! (et De Gaulle au fait ? Plus personne ne se réclame de De Gaulle ?)


Ce n'est pas qu'on veuille ici renvoyer tout le monde dos à dos, où qu'on se croie au dessus de la mêlée. On a ses opinions, ici aussi, et ses références historiques, et ses héros, et ses espoirs. Mais on a aussi une conscience aigüe de ce que toute opinion politique implique de renoncer à la lucidité, et vice-versa. On ne sera donc ni totalement lucide, ni vraiment militant. Ça dépendra des jours.

Ce blog aura pour objet la description du monde en train de se casser la gueule, et des effets de la chute sur les âmes de nos contemporains. Leurs mythes, leurs rêves, leurs cauchemars, seront recueillis et commentés ici avec bienveillance ; car on sait ici que derrière le discours le plus haineux il y a un petit cœur qui bat.

Regards amusés, donc, mais jamais cyniques.